Les schwannomes sont des tumeurs bénignes qui regroupent les neurofibromes, les neurilemmomes, les neurinomes, les fibroblastomes périneuraux et les tumeurs des gaines nerveuses. Quelques cas de schwannome sont présentés ici dans l’espèce porcine, espèce dans laquelle ce type de tumeur n’avait encore jamais été décrit.
En juin 2003, un éleveur naisseur-engraisseur de porcs des Côtes d’Armor voit apparaître sur certains de ses animaux, tant sur ceux en post-sevrage qu’en engraissement, des tuméfactions sous-cutanées plus ou moins volumineuses, évoquant des abcès. Dans les mois qui suivent, l’affection prend une allure pseudo-épidémique, atteignant pratiquement la moitié des bandes de porcelets : de 3 à 10 porcelets sur 150 environ sont touchés. Les lésions se localisent en différents endroits du corps : mâchoires, groin, sternum, coude, épaules, aine, auge (photos 1 à 3), de telle sorte qu’une dizaine d’animaux a ainsi du être euthanasiée pour non valeur économique. En engraissement, la croissance de ces tumeurs est plus rapide, tant et si bien qu’elles peuvent atteindre une trentaine de cm de diamètre au bout de quelques semaines. La masse sous-glossienne illustrée par la photo 3 se disséquait comme une grenouillette et occupait tout le côté gauche de la gorge, déformant le montant de la mandibule et remontant sous la peau jusqu’au milieu de l’oreille. Aucune adhérence n’était décelable, sauf peut-être au niveau de l’os hyoïde. Ces animaux sont nés de femelles inséminées artificiellement, nourris avec un aliment du commerce et abreuvés avec de l’eau issue de forage.
L’autopsie révèle la présence de formations tumorales plus ou moins circulaires entourées d’une fine coque osseuse discontinue, et constituées d’un tissu mal différencié) L’examen histopathologique montre la présence, au centre de la tumeur, d’une prolifération dense de cellules fusiformes de petite taille disposées en cordons tressés et en faisceaux tourbillonnants, dans un stroma conjonctif lâche de collagène dense, richement vascularisé. Ces cellules sont généralement bien différenciées ; elles ont un noyau vésiculeux, à chromatine marginée. Les mitoses sont rares (photos 4et 5. Le marquage de la protéine S100 est négatif. Le marquage à la desmine en revanche est positif, ce qui indique la présence de myosine dans le cytoplasme (photo 6. La périphérie de la tumeur est constituée par endroits de cellules osseuses entourées par un tissu très vascularisé (photo 7).
Au vu de ces lésions, le diagnostic le plus vraisemblable est celui d’une tumeur neuroïde de type neurofibrome plutôt que d’un lipome immature. La négativité du marquage de la protéine S100 et des neurofilaments ne permet cependant pas d’affirmer l’origine nerveuse des cellules tumorales examinées.
Ce même type de symptomatologie a été retrouvé fin janvier 2004 dans un autre élevage de porcs de la même région, affectant 1% des animaux : la localisation et l’aspect des tumeurs étaient identiques dans les deux cas. Les truies étaient quant à elles inséminées avec de la semence provenant d’un même fournisseur. Celles ayant donné naissance aux animaux affectés ont, dans leurs descendants, des ancêtres communs.
Les schwannomes ont été décrits dans de nombreuses espèces de mammifères : bovins, équidés, chiens, macaques et, même chez certains poissons comme les requins (RICCARDI et coll. , 1994). Des schwannomes ont été artificiellement provoqués in utero chez la souris, le rat et le hamster exposés pendant la gestation à des composés nitreux (ethylnitrosurée).
Chez l’Homme, l’affection est connue sous le nom de Maladie de Von Recklinghausen. Elle se manifeste sous trois formes : des neurofibromes cutanés, des lésions pigmentaires (taches café au lait) et des hamartomes de l’iris. Ces lésions, qui peuvent être accompagnées de troubles mentaux, apparaissent généralement à l’adolescence et s’accroissent avec l’âge. Leur croissance serait d’ailleurs accélérée par des influences hormonales (RICCARDI et coll., 1994).
Chez les bovins domestiques, les schwannomes se rencontrent généralement chez des adultes ; mais ils ont également été décrits chez les veaux (MONTLUX et DAVIS, 1953 ; SIMON et BREWER,1963). Dans cette espèce, ce sont souvent des tumeurs multiples et largement disséminées dans tout l’organisme : plexus brachial, nerfs intercostaux, cœur, nerfs, plexus et ganglions intra thoraciques, nerfs, plexus et ganglions cervicaux, nerfs des muscles striés (MONTLUX et DAVIES, 1953), langue, hyoïde, plexus hépatique, nerfs ischiatiques et médiastinaux…Des lésions tumorales sont également rencontrées au niveau cutané et oculaire (neurofibromatose). Toutes les races sont touchées, en particulier les races Hereford, Frisonne-Holstein et Hereford. Les femelles seraient plus souvent atteintes que les mâles.
A l’heure actuelle, on s’accorde à différentier les lésions viscérales de celles à localisation cutanée ou oculaire qui s’apparentent à celles de la maladie de Von Recklinghausen. Chez l’homme. En effet, au plan histologique, les schwannomes sont caractérisés par deux types de formations : d’une part des aires de cellules palissadiques fusiformes spiralées ou entrecroisées, faiblement éosinophiliques (tissu de type A d’Antonini), alternant avec des aires de stroma oedémateux éosinophilique ne contenant qu’un petit nombre de cellules, celles-ci étant disposées au hasard (type B d’Antonini) (HARKIN et REED,1969). Dans les neurofibromes cutanés, si l’on peut trouver des cellules d’Antonini de type B, ce sont toutefois les cellules de type A qui sont prédominantes : elles se caractérisent par une basale bien différenciée, un petit nombre d’organites cytoplasmiques, et produisent à la fois du collagène et des fibres de réticuline. Elles se colorent très fortement en brun au marquage de la protéine S100 (WEIDENHEIM et CAMPBELL, 1986, cité par JOHNSON et coll.). Les cellules périneurales en revanche ont une basale incomplète et se révèlent négatives à l’immuno-marquage. La mise en évidence de la protéine intracytoplasmique S100 permet d’affirmer que les cellules de type A ont pour origine la crête neurale (MUKAI, 1983).
Dans notre observation, si l’on retrouve bien les deux types cellulaires décrits par Antonini, l’immuno-marquage de la protéine S100 est négatif sur les coupes examinées, différence notoire avec les observations effectuées chez l’homme et les bovins. Il serait donc nécessaire de la refaire pour vérifier ce fait. Par ailleurs, une étude ultra-structurale en microscopie électronique devrait permettre de trancher entre un profil cellulaire neuroïde et lipomateux.
Il est maintenant établi que les neurofibromes sont d’origine congénitale dans de nombreuses espèces, l’anomalie étant occasionnée par la présence d’une mutation sur le chromosome 19 au niveau du locus NF1 chez les bovins ( VON SLANINA et coll., 1978). Il s’agit d’un gène à transmission autosomale dominante, à pénétrance complète mais à expressivité variable. Cela s’avérerait également être le cas dans notre observation, les truies ayant donné naissance à des animaux affectés par cette maladie étant vraisemblablement issus d’un même géniteur dans les deux exploitations concernées. Toutefois, la généalogie n’a pas encore été formellement établie à ce jour.
Une dernière hypothèse reste à vérifier en ce qui concerne ce syndrome, celle d’une étiologie virale. En effet, chez les bovins, des pseudo-particules virales de 40 à 60 nm ont été mises en évidence dans les cellules de Schwann des gaînes nerveuses, celles-ci formant des inclusions nucléaires (DOUGHTY, 1977 ; CANFIELD et DOUGHTY, 1980). Un examen en microscopie électronique devrait permettre de le déterminer. Toutefois, ces particules virales n’ont jamais été retrouvées chez l’Homme.
Nous rapportons ici la mise en évidence d’une nouvelle entité pathologique chez le Porc, affection se rapprochant de la maladie de Von Recklinghausen de l’Homme. Cette affection, encore mal caractérisée à l’heure actuelle, se présente sous la forme de tumeurs mésenchymateuses peu différenciées dont l’aspect évoque davantage celui d’un neurofibrome que celui d’une tumeur lipomateuse ou musculaire.Des études génétiques et anatomo-pathologiques doivent être poursuivies sur de nouveaux sujets pour la caractériser plus finement et plus complètement. L’intérêt de cette communication réside bien sûr dans la mise en évidence d’une nouvelle affection dans l’espèce porcine mais aussi dans le fait que cette pathologie pourrait servir de modèle dans l’étude de la maladie de Von Recklinghausen chez l’Homme.
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