- Animal health
- Animal Nutrition
- Genetic and Biodiversity
- Environment and natural resources protection
- Socio-economy in pig production sector
- Quality and food safety
- Animal husbandry and sustainable practices
- Rural Development
in: Jamin J.Y., Seiny Boukar L., Floret C. (éditeurs scientifiques), 2003. Savanes africaines : des espaces en mutation, des acteurs face à de nouveaux défis. Actes du colloque, mai 2002, Garoua, Cameroun. Prasac, N’Djamena, Tchad - Cirad, Montpellier, France.
Periurban and rural pig sector in Chad | L’élevage porcin dans les agro-systèmes ruraux et périurbains du Tchad
Le développement de l’élevage des porcs peut contribuer à la lutte contre l’insécurité alimentaire et à améliorer le revenu des producteurs. Ce texte tente de faire le point sur la production porcine au Tchad, afin de dégager des perspectives en matière de recherche et de développement.
Introduction
Le Tchad est un pays d’élevage par excellence pour les ruminants tels que les bovins, les ovins, les caprins et les camélidés, dont les effectifs globaux ont été estimés à 13 millions de têtes (Abba et al., 1997). Ces élevages contribuent au PIB pour 16 % (Doutoum et al., 1984). En comparaison, l’élevage des porcs (animaux monogastriques) est bien moins important, avec des effectifs estimés en 2000 à 100 000 têtes, sur la base d’un taux de croît annuel de 5 %. Une dégradation constante des ressources fourragères dans les zones septentrionales du Tchad entraînera probablement une réduction des effectifs des ruminants, et donc une chute des produits animaux destinés à la consommation de la population (Toutain et al., 1999). Selon Tacher et al. (1971), l’économie du Tchad étant basée sur les produits de l’élevage, il y a un accroissement constant de l’exportation de la viande et du bétail sur pied, occasionnant ainsi une baisse du disponible local. Le niveau de consommation de viande par habitant a été évalué à 25 kg/ht/an à N’Djamena (MPAT, 1998). Ce constat implique des efforts de la part du gouvernement pour diversifier les productions animales et rend nécessaire une réflexion sur les nouvelles formes de productions animales à promouvoir. Par ailleurs, l’insécurité alimentaire qui se manifeste de temps en temps au Tchad incite à une diversification des activités de production. Dans ce cadre, le développement de l’élevage des animaux à cycles courts, notamment celui des porcs, peut contribuer à la lutte contre l’insécurité alimentaire et à améliorer le revenu des producteurs. Ce texte tente de faire le point sur la production porcine au Tchad, afin de dégager des perspectives en matière de recherche et de développement.
L’introduction et la diffusion des porcs
L’élevage porcin remonte au début du XXe siècle au Tchad. Les premiers porcins auraient été introduits par des missionnaires en provenance du Cameroun, vers 1918, et distribués dans les localités du sud du Tchad (AEF, 1921). Ces porcs seraient des produits d’un croisement entre le porc ibérique et la race locale originaire des pays côtiers d’Afrique. En 1951, des porcs de race limousine ont été importés de France, dans le but d’améliorer les performances de la race locale, afin de faciliter l’exportation de leur viande vers les pays côtiers gros consommateurs. Trois centres de multiplication de cette race ont été créés : Abougoudam dans le Ouaddaï, Ngouri dans le Kanem et Fianga dans le Mayo Kebbi (AEF, 1951). Devant les faibles résultats obtenus avec cette race, on a ensuite eu recours, en 1958, à des porcs de race Large White, appelée encore Yorkshire, et à la race Berkshire, toutes deux d’origine anglaise, importés du Moyen Congo (actuelle République Démocratique du Congo). En plus de ces races, d’autres ont été signalées, telles que le Landrace et le Piétrain, mais elles sont de peu d’importance en terme de diffusion (Mopate et Koussou, 2000). Les porcs élevés aujourd’hui au Tchad descendent donc de croisements entre plusieurs races. Cela s’illustre bien par les nombreuses variétés de robes observées. Pour diverses raisons, notamment religieuses, seul le centre de multiplication de Fianga, dans le Mayo Kebbi a survécu. Les deux autres centres, situés en zone sahélienne et donc en pays musulman, ont été fermés au bout de quatre ans. Le service d’élevage de la colonie du Tchad s’est rapidement rendu compte qu’il était possible de développer l’élevage porcin au sud du Tchad. C’est donc à partir de la ferme d’élevage de Fianga que le porc a été diffusé dans toute la zone soudanienne. L’appui et la contribution des missions catholiques, des fermes agricoles, des sociétés de développement, des chefs de canton et des chefs de village, ont été importants pour cette diffusion. Mais des difficultés liées au gardiennage et à l’alimentation des porcs en milieu paysan ont quelque peu freiné le bon développement de cet élevage pendant ces années.
L’exportation de viande porcine par le passé
Grâce aux élevages semi-industriels implantés dans le Chari-Baguirmi, notamment à Massakory, à 150 km au nord de Fort-Lamy (actuel N’Djamena) et des élevages traditionnels de l’intérieur du pays, le Tchad a, dans les années 50, exporté de la viande de porc vers les pays de l’Afrique équatoriale française (AEF). A titre d’exemple, pour les années 1953 et 1954, le pays a exporté respectivement 8 t et 13 t de viande, à partir de Fort-Lamy, d’Abéché et de Fort-Archambault (actuel Sarh) vers Libreville, Brazzaville et Pointe-Noire, Bangui, Léopoldville, Yaoundé et Douala. Ces exportations ont progressé en tonnage jusqu’au milieu des années 60, avant de s’arrêter. L’élevage semi-industriel de Massakory par exemple, a permis d’approvisionner la capitale tchadienne et d’exporter, en 10 ans, 629 tonnes de viande porcine (tableau I). Les reproducteurs étaient des Limousins et des Large White. Le taux d’exploitation moyen était à l’époque de 52 % et le poids vif moyen des porcs commercialisés variait entre 70 et 130 kg. Cet exemple montre qu’il est possible de monter au Tchad, un élevage de type semi-industriel avec des porcs de races exotiques.
Tableau I. Evolution des effectifs, des cessions onéreuses, des tonnages de viande et des poids moyens de porcs selon les années (élevage semi-industriel de Chantaloup à Massakory).
La conduite des élevages
Les effectifs officiels des porcins au Tchad ne reflètent pas vraiment la réalité. En pays Toupouri, par exemple, il est rare de trouver dans les villages des concessions où l’on n’élève pas de porcs. Entre 90 et 95 % des effectifs porcins du pays sont concentrés dans la zone soudanienne. L’ancienne préfecture du Mayo Kebbi renferme à elle seule 50 % des effectifs. Elle est le plus important bassin de production porcin au Tchad. Les traditions anciennes d’élevage porcin, l’implantation d’un centre de multiplication et de diffusion à Fianga et la proximité des marchés camerounais contribuent à l’essor de cette production. Les effectifs moyens par exploitation varient selon les zones. En zone rurale, ils vont souvent de 3 à 18 porcs (Mopaté, 2000a), mais des exploitations de plus de 30 animaux sont observées. Dans les zones urbaines et périurbaines, les effectifs sont plus élevés et se situent entre 13 et 25 animaux (Sana, 1997 ; Mopaté, 2000b ; Mopaté, 2001). Les éleveurs de porc appartiennent à toutes les couches socioprofessionnelles : agriculteurs, agro-éleveurs, pêcheurs, salariés, artisans, retraités civils et militaires, élèves et étudiants, etc. En effet, cette activité constitue une alternative de diversification de revenu pour les familles. Dans la zone de N’Djamena, on observe un renversement de tendance par rapport aux résultats de Sana (1997) dans le profil des producteurs de porcs : les salariés, qui étaient auparavant en seconde position après les agro-éleveurs et les pêcheurs, reprennent le premier rang des producteurs de porcs. Cela s’expliquerait, soit par le réinvestissement des économies dans une activité lucrative, soit par le coût élevé de la vie qu’il faut affronter en mettant en place des activités complémentaires, soit encore par le souhait de satisfaire sa propre consommation et ses besoins sociaux (Mopaté, 2001). L’élevage des porcs pratiqué au Tchad est essentiellement extensif, notamment dans les zones rurales. Dans les villages de la zone soudanienne, la conduite des porcs est réglée par le calendrier des activités agricoles. Dès les premiers semis, les porcs sont en claustration dans des porcheries ou des enclos de fortune, ou simplement attachés au piquet dans les cours de maisons, sous les grands arbres. Ils ne retrouvent leur liberté qu’à la fin des récoltes, vers le mois de décembre. Dans des zones où les cultures de contre-saison sont pratiquées non loin du village, la claustration ou la mise au piquet peut se prolonger au-delà de la fin des récoltes des cultures pluviales (Mopaté, 2000a ; Mopaté, 2002). La claustration des femelles sans mâles et la mise à l’attache de celles-ci dans les villages en période de culture, limitent les possibilités de reproduction et constituent une contrainte à la productivité des élevages (Mopaté, 2000a). Parfois, dans certains villages, les porcs sont sortis, sous la conduite d’un gardien, pour des pâtures de 3 à 4 heures par jour. Dans les centres urbains, à cause des vols et surtout de l’interdiction de la divagation des animaux par les municipalités, la plupart des éleveurs de porcs disposent de logements pour leurs animaux. L’alimentation est à base de déchets « Kododo» issus de la préparation d’alcool distillé traditionnel « Argui », de drêches « Moussoug » issues de la fabrication des bières locales (Bili-bili, Cochette) et de sons de céréales. Les fourrages verts tels que Commelina bengalensis, Acanthospermum hispidum, Digitaria horizontalis, Hibiscus sabdarifa, Rodebolia sp. et Pennisetum pedicelatum sont mis à contribution dans l’alimentation des porcs en saison des pluies (Mopate, 2000a). En ville comme en campagne, des compléments minéraux sont employés à des fins thérapeutiques (soin des cysticercoses et de la toux). A N’Djamena, 68 % des éleveurs utilisent du natron (carbonate de sodium), contre 33 % en milieu rural pour le sel de cuisine (chlorure de sodium). Les dépenses alimentaires sont de 5 000 à 8 500 F CFA, respectivement en campagne et à N’Djamena (Mopaté, 2000a ; Mopaté, 2001). L’alimentation des animaux en saison des pluies est l’une des contraintes majeures à la production porcine ; elle est exprimée par 90 % des éleveurs dans les zones rurales. A cette époque, le niveau des stocks de céréales est bas, ce qui entraîne une raréfaction des drêches, des issues d’alcool distillé et des sons de céréales. Une alimentation insuffisante à cette saison conduit les porcs à franchir les enclos ou à casser les cordes pour s’alimenter dans les champs. Il en résulte des conflits entre agriculteurs. Dans certains villages, ordre est donné par le chef de village d’abattre tout porc surpris dans un champ. Le gardiennage constitue donc une contrainte majeure, souvent évoquée par les paysans ; cela justifie la détention de faibles effectifs de porcs par exploitation et explique aussi la sortie précoce des reproducteurs, les porcs adultes étant rendus responsables des dégâts occasionnés aux cultures (Mopaté, 2000a ; Mopaté, 2002).
Performances de reproduction et problèmes sanitaires
Le caractère extensif des élevages porcins entraîne une monte libre. Les mâles et les femelles ne sont pas séparés, pas plus que les adultes et les jeunes. Une enquête menée auprès de 45 éleveurs dans deux terroirs villageois représentatifs de la région du Mayo-Kebbi et du Logone Occidental montre que plus de la moitié des éleveurs (53 %) ont isolé les truies avant la mise-bas et que 18 % l’ont fait après. En revanche, 29 % des femelles à terme ont été laissées à divaguer (Mopaté, 2000).
Tableau II. Performances moyennes de reproduction comparée des élevages porcins extensifs (ruraux) et semi-intensifs (urbains) au Tchad et au Nord-Cameroun.
Les performances zootechniques meilleures des élevages urbains, comparées à celles des élevages ruraux, montrent également la capacité de réaction des porcs locaux aux actions d’intensification de la production (Mopaté, 2001 ; Njoya, 1996), voir le tableau II. En effet, selon Mopaté (2001), 85 % des élevages urbains recevaient 2 à 3 fois par jour des aliments et seulement 15 % une fois, ce qui n’est pas le cas en zone rurale. Lebroue et al., (2000) notent à cet effet, que l’amélioration de la taille des portées peut venir d’une meilleure conduite des élevages. Les performances proches des élevages porcins ruraux du Tchad et du Cameroun mettent en évidence l’origine commune du matériel génétique et la similitude des pratiques d’élevage (tableau II). La divagation des porcs pose un problème sanitaire réel notamment le parasitisme. L’infestation massive des porcs par les cysticerques de Taenia solium est souvent observée. A N’Djamena, cette pathologie constitue la première cause (95 %) de saisie totale à l’abattoir de Farcha sur 17 ans (1982-1998), suivie de la tuberculose (2 %), du rouget du porc (1 %), de la fièvre aphteuse (1 %), du charbon bactéridien - forme angineuse – (0,5 %) et de cas de viande cadavérique (0,5 %), selon Mopaté (2001). Sur les terroirs villageois de Ngoko et de Tchanar, en zone soudanienne, Mopaté (2000a) a mentionné des cas d’amaigrissement (33 %), de toux (26 %), d’oedème de l’encolure (probable manifestation du charbon bactéridien) dans 15 % des cas, de diarrhées (11 %) et de poux (15 %).
En matière de contrôle de la viande, les abattoirs, les services sanitaires vétérinaires des centres urbains et les agents des postes vétérinaires en milieu rural assurent l’inspection des carcasses. Les marchés hebdomadaires reçoivent la visite des agents vétérinaires chargés de l’inspection des viandes.
L’exploitation des animaux
La mise en place d’un élevage de porc est le plus souvent motivée par le souhait du producteur de réaliser un projet, d’adopter une stratégie de diversification de la production pour lutter contre l’insécurité financière et alimentaire, ou par une alternative conjoncturelle. Au nombre des projets déclarés, figurent l’achat d’un vélo, la capitalisation vers l’élevage de ruminants (bovins surtout, pour la culture attelée, ou petits ruminants), l’investissement dans le matériel agricole, notamment la charrue, l’achat de grandes marmites pour la fabrication de la bière locale par les femmes, etc. En milieu rural, aussi bien qu’en milieu urbain ou périurbain, les objectifs spéculatifs et alimentaires de la production porcine sont nettement affichés par les éleveurs. A N’Djamena, le niveau moyen de vente et de consommation est le double de celui des campagnes, respectivement 9 et 4 animaux (Mopaté, 2001). Des taux d’exploitation de 44 % et 55 % et des revenus annuels de l’ordre de 90 000 à 270 000 F CFA ont été obtenus par les éleveurs, respectivement en campagne et dans les centres urbains (Sana, 1997 ; Mopaté, 2000a ; Mopaté, 2001). Les dépenses engagées sont faibles et concernent surtout l’achat d’aliments. L’usage des produits vétérinaires reste l’apanage des éleveurs urbains et périurbains. Mais même là, c’est une minorité des éleveurs qui déclarent y recourir pour le traitement des porcs (Mopaté, 2000a ; Mopaté, 2001). En plus de la réalisation des projets cités ci-dessus, les recettes de la vente des porcs permettent également l’achat de céréales en année de campagne déficitaire, la paye de la maind’oeuvre agricole et de la taxe civique, l’acquittement des frais de scolarité des enfants, les soins médicaux et l’achat de divers biens de consommation. On note divers motifs de consommation : familiale, accueil des hôtes, festivités, funérailles et rituels. Les porcs abattus ou sur pied permettent de recruter de la main-d’oeuvre pour le labour, le sarclage ou la récolte du coton ou des céréales. Un gros porc abattu et mis en morceaux permet de disposer d’une trentaine personnes pour les travaux agricoles. La mise à la disposition d’un groupe de volontaires d’un animal de 6 mois dont la valeur varie entre 10 000 et 15 000 F CFA permet de labourer une corde (0,5 ha) ; celle d’un animal de 3 ans, dont le prix oscille entre 30 000 et 35 000 F CFA, le labour de 4 cordes (Mopaté, 2000a ; Mopaté, 2002). Il convient de noter qu’en plus de l’intervention des porcs dans les opérations culturales, leur participation dans les cérémonies funéraires, particulièrement en pays Ngambaye et Marba, est une nouvelle pratique. Le porc, dont le rendement en carcasse est supérieur à celui des ovins et des caprins, est en train de supplanter les petits ruminants dans ces cérémonies. Le nombre des animaux abattus au cours d’une cérémonie funéraire varie suivant les traditions et la personnalité du défunt. Le plus souvent, des abattages de 10 à 20 porcs sont enregistrés (Mopaté, 2002). L’usage du porc pour les travaux culturaux et les funérailles justifie en partie le regain d’intérêt des producteurs ruraux pour l’élevage du porc.
Le caractère extensif de l’élevage porcin dans le sud du Tchad est l’un des critères de sa compétitivité (coûts de production faibles, porcs maigres). Les commerçants nationaux et étrangers sont très regardants sur l’état d’infestation parasitaire des animaux mis en vente. Cela constitue un critère essentiel de choix des porcs sur les marchés. Selon les rapports de la Direction de l’élevage, l’évolution des abattages contrôlés de 1990 à 2000 a connu une croissance en dent de scie au niveau de N’Djamena (Tableau III).
Tableau III. Evolution des abattages contrôlés de 1990 à 2000.
L’impact de la dévaluation du franc CFA en 1994 explique probablement l’augmentation progressive de l’abattage des porcs amorcée en 1995 sur l’ensemble du territoire tchadien. Depuis les années 90, des points de grillade de viande de porc ont commencé à être créés et on observe actuellement une multiplication de ces points. De deux points de grillade en 1990, on est passé à une quinzaine en 2001. Les autres régions concernent essentiellement la zone soudanienne qui englobe les 5 préfectures du sud du Tchad.
La commercialisation
L’élevage porcin a longtemps souffert du manque de débouchés commerciaux. Cela a été évoqué depuis les années 50 comme un frein au développement de l’élevage porcin en milieu rural. La production était alors pour l’essentiel autoconsommée. Quelques rares bouchers procédaient à des abattages locaux les jours de marché. Les échanges avec le Cameroun voisin existent certes depuis longtemps, mais dans des proportions minimes (Koussou, 1999 ; Mopaté et Koussou, 2000).
Au début des années 80, les élevages porcins du sud du Cameroun ont été durement frappés par uneépidémie de peste porcine africaine. Ces élevages, qui approvisionnaient Yaoundé, n’arrivaient plus à satisfaire la demande en viande porcine. Très rapidement, les négociants en porcs camerounais se sont tournés vers les régions frontalières du Tchad, non affectées par l’épidémie. Ils y ont trouvé un porc maigre (c’est-à-dire avec une faible épaisseur de graisse) et surtout bon marché. L’arrivée du porc du « Nord» sur le marché de Yaoundé s’est accompagnée d’un nouveau mode de préparation : « la braise ». Ce nouveau produit, consommé hors foyer, va bouleverser les habitudes alimentaires en matière de consommation de la viande. L’ouverture du marché camerounais va inciter les éleveurs tchadiens à produire plus pour vendre de l’autre côté de la frontière (Koussou, 1999). Une progression des élevages mis en place est observée dans les deux bassins tchadiens de production que sont la zone soudanienne et la région de N’Djamena. Des marchés hebdomadaires de porcs vont naître rapidement du côté camerounais et le long de la frontière avec le Tchad. Ces marchés (Zouay, Dziguilao, Datchéka) sont alimentés à plus de 60 % par les porcs provenant du Tchad (Koussou, 1999). Les porcs y sont conduits à pied et peuvent avoir marché de 48 à 72 heures, ce qui joue sur le poids des animaux mis sur le marché. En saison des pluies, les porcs font la traversée en pirogue pour être vendus au Cameroun (Sana, 1997).
Aux problèmes de parasitisme déjà évoqués, s’ajoutent les problèmes de transport. Malgré des marchés prometteurs, les producteurs se heurtent à des difficultés pour écouler leurs produits du fait de l’enclavement des villages. On peut estimer à environ 40 000 le nombre de porcs du Tchad exportés chaque année vers le Cameroun (Koussou, 1999). Avec un prix moyen variant entre 20 000 et 30 000 F CFA toutes catégories exportées confondues, l’activité génère environ 1 milliard de F CFA par an. Sur le plan national, un flux commercial de porcs de la zone méridionale vers N’Djamena existe. Il est le plus souvent entretenu par les spéculateurs de N’Djamena, par des fournisseurs ou des bouchers. Parfois aussi, ce sont des éleveurs désirant renforcer leur élevage. En milieu rural et dans certains centres urbains, se développe une catégorie de bouchers grilleurs spécialisée dans la viande porcine et exerçant le plus souvent de façon informelle. Ces bouchers sillonnent les villages pour s’approvisionner en porcs et les abattre les jours de marchés hebdomadaires. Dans un village comme Doiti, dans le canton Tapol, (Logone occidental), plus de 15 porcs sont abattus chaque jour de marché, dépassant de loin le nombre de petits ruminants. Des nationaux originaires des départements du Mayo-Boneye, du Mayo-Dallah ou de la Kabia, frontaliers avec le Cameroun, opèrent pour leur compte ou pour le compte d’un tiers camerounais et font des percées vers les départements de la Tandjilé Ouest et Est, à la recherche de porcs (Mopaté, 2002). A N’Djamena, des convoyages d’une centaine de porcs ont lieu deux à trois fois dans l’année vers le sud du Cameroun. La commercialisation s’améliore donc, mais il reste à faire un effort d’organisation du marché.
La nécessité d’organiser le marché
Dans certains villages, il est courant de voir aujourd’hui dans les marchés hebdomadaires, à côté des bovins et des petits ruminants, des porcs à l’attache. Cela marque une évolution dans les pratiques commerciales concernant cet animal, qui jadis se vendait beaucoup plus directement sur les exploitations. Les marchés d’envergure régionale qui existaient dans la zone de Fianga sont aujourd’hui fermés. Producteurs et commerçants les ont déserté à la suite de multiples tracasseries administratives (Mopaté, 2002). L’absence de marché important pour les porcs du côté tchadien ne favorise pas la mise en vente massive d’animaux. Il est donc nécessaire de rouvrir ces marchés ou d’en créer d’autres et de les organiser dans les zones de production et le long de la frontière. Mais les producteurs doivent aussi s’organiser pour prendre en main la gestion de ces marchés. Le rôle de l’Etat devrait être d’aider à leur création et de se limiter à la perception des impôts et taxes. La mise en oeuvre d’un tel environnement favoriserait le développement du commerce intérieur et un bon écoulement des porcs vers le Cameroun, qui reste demandeur. Cette politique assurerait des revenus substantiels tant aux producteurs de porcs qu’à l’administration. Dans les centres urbains, cette politique d’organisation et de création de marchés porcins devrait également être appliquée pour donner un cadre de concertation entre les producteurs. En milieu urbain comme en milieu rural, les spéculateurs négocient pour la plupart directement au niveau des exploitations, ce qui entraîne de fortes disparités sur les prix.
Conclusion
Les initiatives actuelles du Laboratoire de recherches vétérinaires et zootechniques de Farcha et de ses partenaires comme le PRASAC et le CORAF pour produire et diffuser des informations sur l’élevage porcin sont importantes et méritent d’être signalées. Les efforts devront continuer, pour réaliser un diagnostic complet sur cette production. Les recherches devront s’orienter vers l’établissement d’une typologie des élevages porcins, devant déboucher sur une étude de la dynamique des systèmes de production porcins au Tchad. De plus, la place du porc dans les rapports socioculturels et dans l’économie familiale, la gestion technique des élevages porcins pendant la campagne agricole, la commercialisation des porcs sur pieds et de leur viande et l’élaboration d’un plan de prophylaxie adapté, sont des thèmes de recherche qui devront être abordés pour pouvoir mieux comprendre cette production.
Les actions en matière de développement devront en priorité viser l’amélioration de la conduite des animaux. Il s’agit de l’alimentation, de l’habitat et de l’application d’un plan de prophylaxie convenable. Ces actions ne pourront être mises en oeuvre que dans le cadre d’un renforcement des capacités des organisations paysannes, notamment les Groupements de défense sanitaire (GDS) en zone soudanienne et des associations de producteurs dans les zones périurbaines.
L’État, les structures de recherche-développement, les organisations et les projets de développement, doivent conjuguer leurs efforts pour soutenir les dynamiques en cours. Les perspectives liées au pétrole en zone soudanienne et le niveau élevé de la consommation de viande dans les centres urbains entraînent déjà une forte demande en produits animaux. La prolificité et la productivité numérique élevées du porc le placent comme un animal de choix pour répondre rapidement à cette demande, mieux que d’autres animaux à cycle court comme les caprins ou les ovins.
Une tradition d’élevage en zone soudanienne, l’ouverture de débouchés, des ressources alimentaires disponibles (sous-produits agricoles et agro-industriels) et une absence actuelle de la peste porcine africaine constituent des atouts pour le développement de l’élevage porcin. Il est tout à fait envisageable, avec un appui de l’État, que le Tchad redevienne un grand exportateur de viande porcine en Afrique centrale.
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